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L'Art de perdre - Alice Zeniter

Dernière mise à jour : 5 janv. 2022


À regarder la prolifération de romans sur l’Algérie, on se dit que rien n’est oublié, mais que tout a été dit. Sauf quand une romancière talentueuse s’empare des oubliés de l’histoire, des perdants muselés par la honte qui ont préféré se taire. Le travail d’Alice Zeniter porte sur les zones d’ombres d’une histoire familiale, où l’Algérie n’est plus qu’une vieille toile cirée qu’on regarde de travers sans oser la jeter.

C’est l’histoire d’un aller retour en ferry, celui-là même qui a emporté sa famille vers Marseille un demi-siècle plus tôt, et sur lequel Naïma rebrousse chemin : elle est venue chercher des réponses au silence familial qui se transmet depuis deux générations. Petite fille de harki, elle a grandi autour d’une date interdite : 1962, l'année de l'exil.


La première génération sera celle d’Ali, en 1930, riche propriétaire d’une oliveraie dans les montagnes kabyles, qui règne sur le village en patriarche éclairé. Ancien combattant supplétif de l’armée française, il se méfie du FNL comme de la peste bubonique et n'envisage pas l'ordre établi se renverser. Sa collaboration avec la police française s'impose alors comme une évidence. Un choix qui le rangera chez les vaincus à l’heure de l’Algérie libre.


L’Algérie racontée est celle des natifs exilés, qui en 1962 ont du plier bagage de peur des représailles, embarqués tant bien que mal sur les ferries en partance pour la France. L’eldorado est évidemment loin de la réalité : Ali et ses enfants découvrent la vétusté d’un camp de réfugiés aux abords de Marseille, l’ennui et surtout le mépris du gouvernement français qui ne sait que faire de ces milliers de harkis, ressortissants de deux pays qui ne veulent pas d’eux.


Hamid, le fils aîné d’Ali et le père de Naïma, incarne la deuxième génération. Celle dont les souvenirs du pays se sont taris, mais qui a tout de même conscience de la dégringolade sociale de son père. Il est né dans le mythe de l’oliveraie prospère mais va grandir dans un HLM de Normandie, rythmé par la vie de l’usine où travaille désormais Ali. Les fils prennent la place de ces pères déchus, devenus analphabètes, humiliés par l’apposition d’une croix en marge des papiers administratifs.


Hamid cherche à se réinventer et rattrape son retard scolaire, tourne autour de la question algérienne sans jamais obtenir de réponse. Un héritage fait de silences qu’il léguera à ses filles, issues d’un mariage mixte avec Clarisse, une Française « pure souche » qu’il rencontre à Paris.

« Il est furieux et gêné qu'au moment où le monde lui est devenu lisible dans ses grandes lignes politiques, les choix de son père constituent non pas un simple grain de sable mais une boule illogique et opaque, coincée dans ses grilles de lecture. Il voudrait avoir, comme Gilles et François, des parents aux modes de vie identifiables et cohérents, qui peuvent être rejetés en bloc – mentalité paysanne, mentalité bourgeoise. Au lieu de quoi, il a hérité d'un père insaisissable, qu'il voudrait défendre mais qui se refuse à être défendu. »

L’art de perdre, mieux qu’une fresque sur la quête des origines, est une sorte d’odyssée, qui marche à reculons dans le temps vers cette question lancinante : appartient-on à un pays dont on connaît seulement la fiche Wikipédia ? La romancière tente d’y répondre à travers son double narratif, Naïma, la toute première de la famille à fouler le sol de l'Algérie depuis un demi-siècle.

Alice Zeniter transforme ces personnages déchus en héros d'une formidable saga familiale, qui compte parmi les (peu nombreux) meilleurs romans de la rentrée littéraire 2017.


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