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Ahlam - Marc Trévidic

Dernière mise à jour : 5 janv. 2022


Marc Trévidic est le genre d'homme qui transpire l'intelligence : vif, brillant, fulgurant, ne déguisant jamais sa pensée... c'est une figure emblématique de la lutte anti-terroriste.

Le juge et essayiste se révèle aussi romancier, doué de surcroît, sensible et lyrique. Ahlam met de la poésie dans un monde de brutes : celui des salafistes.

Ahlam signifie les rêves en arabe : il y a ceux, artistiques, de Paul, peintre célèbre et protagoniste du livre, et ceux d'une Tunisie à genoux sous le régime Ben Ali.


Un cadre enchanteur

Paul Arezzo, artiste-peintre français reconnu, s'installe sur l'île de Kerkennah en janvier 2000. Il vient soigner son inspiration partie à la dérive. D'un tempérament solitaire, il se lie pourtant d'amitié avec Farhat, modeste pêcheur qui arrondit son salaire en promenant des touristes dans sa felouque.

La famille de Farhat ne tarde pas à adopter elle aussi ce peintre chrétien, et quand la mère de leurs deux enfants meurt d'une tragique et fulgurante leucémie, Paul les prend sous son aile. Frère et soeur très liés, Issam et Ahlam s'épanouissent artistiquement sous l'enseignement de Paul, se révèlent même extraordinairement doués. Issam, l'aîné, s'exerce à la peinture en duo avec sa soeur, Ahlam, au piano, oubliant la révolution qui s'agite contre le régime Ben Ali en arrière-plan.

Paul Arezzo a un rêve artistique : créer un système qui permettrait d'unir dans un même élan la peinture à la musique. Ses deux élèves réalisent ainsi des tableaux musicaux, où chaque rime vocalique correspond à un nuancier de couleurs : quand Ahlam joue, Issam peint, la fusion est parfaite, et Paul prévoit bientôt une tournée internationale pour présenter ses deux petits prodiges.

L'intégrisme pour toile de fond

Mais Paul est un rêveur : enfermé dans sa villa de Kerkennah, il devient sourd au bruit du monde, aveugle aux dangers qui guettent les deux enfants.

« Paul était un artiste. Il ne vivait que pour son art. Il ne recherchait que le sens et la beauté. Le monde ne l’intéressait pas. Depuis qu’il était à Kerkennah, il ne lisait plus les journaux, ne regardait jamais la télévision, n’écoutait pas la radio. Il n’avait pas Internet et presque personne ne l’avait encore sur l’île.


Farhat, simple pêcheur, en savait beaucoup plus sur le sujet. Il avait senti peu à peu, avec le rejet du régime de Ben Ali, monter l’intégrisme. Les gens étaient moins tolérants. Combien de fois lui avait-on fait la remarque que ses enfants étaient élevés par un kafir qui leur apprenait des choses défendues ! Même l’imam lui avait fait un cours sur les dangers de la peinture et de la musique, ses effets délétères sur l’âme des musulmans. »

Le brillant et talentueux Issam grandit et commence à sombrer dans les dérives salafistes, écartelé entre sa passion pour la peinture et sa foi qui lui interdit la pratique des arts. Personne ne voit venir le danger de ses fréquentations d'enfance, de plus en plus intégristes. Un beau jour le couperet tombe : Issam abandonne la peinture pour suivre des études d'informatique à l'université, où il intègre d'obscurs réseaux.

Le lien est brisé entre Issam et Ahlam : elle devient l'égérie de la Révolution de Jasmin, brandissant son corps dans des tenues jugées obscènes par son propre frère. Issam rejette la peinture, Paul et sa famille, subissant un véritable lavage de cerveau :

« L’homme n’est pas Dieu. L’homme n’a pas le droit de créer, ni même de copier la création du Tout-Puissant. Et ce n’est pas moi qui dis cela. C’est Dieu lui-même, par la voix de son Prophète – sallallâhou alayhi wa sallam.

— L’homme a juste le droit d’être un esclave, c’est ça ? Alors, sois un esclave. »

Loin de nous donner un cours sentencieux sur la montée de l'islamisme, Marc Trévidic parvient par le biais de la fiction à éclairer les ressorts psychologiques de l’embrigadement djihadiste, à nous faire rentrer « dans la tête » des personnages. On s'accroche de toutes nos forces à l'espoir qu'incarne Ahlam, à cette volonté de femme libre qui rend hommage au courage des Tunisiennes.

Avec Ahlam, Marc Trévidic dresse l'art comme rempart au fanatisme. Le récit est très bien mené, et les passages consacrés au processus de radicalisation nous apprennent plus de choses que 6 essais réunis sur la question.

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