On retrouve dans ce nouveau roman de Delphine de Vigan son écriture si particulière, intime sans être impudique, cette sensibilité féminine qui n’appartient qu’à elle, ces questionnements sur l’écriture mis en scène au sein-même de la fiction. Delphine de Vigan nous offre ici un récit qui frôle le thriller, du moins qui en emprunte les codes, avec la dénommée L., personnage inquiétant qui gravite autour de la narratrice.
La frontière entre biographie et fiction est poreuse dans ce livre : la narratrice, c’est Delphine elle-même. Son dernier livre vient de rencontrer un immense succès auprès des lecteurs, qui ne cessent de lui demander ce qu’elle va bien pouvoir écrire après « ça ». «Ça», ce n’est autre que ce livre très personnel que beaucoup ont lu et qui a rencontré une résonance à laquelle elle n’était pas préparée. Et l’auteur est bien incapable de répondre à la question : elle est en panne, frappée de paralysie d’écriture, esquivant la question redoutable qui revient sans cesse dans la bouche de son entourage, des journalistes, des lecteurs, de son éditeur. Delphine tourne en rond et s’enfonce dans des mensonges auxquels elle tente de croire, en proie à un malaise grandissant. Approcher son ordinateur, répondre à son courrier, ouvrir un document Word la mettent au supplice. C’est dans cet état d’esprit qu’elle va rencontrer L., une femme intrigante qui a tout de l’amie idéale. Mais le lecteur ne la sent guère, cette L. dont on ne veut même pas nous donner le prénom. Elle rôde autour de Delphine à pas feutrés, la pousse aux confidences, à la fois séductrice et manipulatrice, jusqu'à envahir son intimité et prendre le contrôle de son quotidien. Aux yeux de Delphine, L. est dotée de toutes les perfections féminines qui font lui défaut : soignée, manucurée, naturelle, solaire et sûre d'elle-même, c'est une sorte de double antagoniste de la narratrice. L. la prend sous son aile, l'exhorte à écrire quelque chose de "vrai" et à oublier la fiction, quitte à assécher encore plus son inspiration tarie. Elle creuse le vide autour de la narratrice, dans une attitude très possessive, et finit par l'isoler de ses proches. Et leur relation malsaine devient toxique : L. répond à ses mails, s'habille comme elle, se fait passer pour elle, le tout avec la bénédiction de Delphine qui se repose entièrement sur ce prétendu ange-gardien. Mais finalement, de la narratrice ou du lecteur, on finit par se demander lequel est le plus manipulé. Car L. existe t-elle vraiment ? Le doute s'immisce au fil des pages et augmente la tension : Delphine de Vigan tisse sa toile avec patience, dissémine des indices et construit en filigrane un thriller psychologique déconcertant. Elle joue entre le réel et la fiction, donnant à son lecteur des gages de réalité qui la rendent insoupçonnable de mensonge : l'attente autour de son prochain livre, son compagnon qui emprunte le nom, les traits et le métier de François Busnel, son compagnon dans la vraie vie, ses enfants, etc... Entre vrai et faux, fiction et autobiographie, D'après une histoire vraie est un livre adroit, intelligent, dans lequel on se laisse manipuler avec délice. Et qui prouve que l'auteur a de nombreux ressorts littéraires, car on ne s'attendait pas du tout à ce qu'elle écrive "ça" mais on est bien content qu'elle l'ait fait.
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