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2084 - Boualem Sansal

Dernière mise à jour : 5 janv. 2022


À la lueur des évènements tragiques du 13 novembre, le Bookinist a décidé de remettre 2084 au programme. Lu en septembre, nous n'avions pas forcément été convaincus par la force narrative du roman, ce qui n'enlevait rien à la démonstration d'intelligence et de finesse que nous offre Boualem Sansal avec cette "fable" politique.

Vous savez que les critères du Bookinist sont exigeants, quoique forcément subjectifs, et qu'il y a une règle unique à laquelle ce blog ne déroge pas : vous proposer uniquement des coups de coeur, des livres qui nous ont convaincus à 100% et non pas à 75 ou à 80%.

On va donc s'accorder un écart, et mettre en lumière les "pro" plus que les "contre".



Bienvenue en Abistan, 2084

L'empire aux 60 provinces est dirigé par le prophète Abi, délégué sur Terre du très saint Yölah. Abi, surnommé "Bigaye", personne ne l'a jamais vu, mais personne ne remet en cause son autorité.

Car depuis la Char, la dernière grande Guerre Sainte qui a vaincu les rénégats - qu'on pourrait finalement presque nommer les "Croisés" - les Abistanais vivent sous le contrôle d'un régime de terreur bien rôdé : l'Appareil. Surveillé jour et nuit par des commissaires de la foi, les terribles V aux rayons ultrasensibles qui captent les pensées déraillantes et impies, le peuple s'enfonce dans une routine pieuse, légiférée par le Livre Saint d'Abi.

Ati, honnête fonctionnaire du régime, est envoyé dans un sanatorium aux confins de l'Empire pour y soigner sa tuberculose. Mais voilà qu'au milieu du vide de ses journées, quelque chose germe en lui, grandit comme une mauvaise pousse : le doute.

« Ati ne se reconnaissait pas, il avait peur de cet autre qui l’avait envahi, se montrait si imprudent et s’enhardissait de jour en jour. Il l’entendait lui suggérer des questions et lui souffler des réponses incompréhensibles… et il l’écoutait, tendait l’oreille, le pressait de préciser, de conclure. Le face-à-face l’épuisait. Il était terrifié à l’idée qu’on vienne à le soupçonner, qu’on découvre qu’il était un… il n’osait prononcer le mot… mécréant. »

Or le doute n'existe pas en Abistan : de leur naissance à leur mort, du lever au coucher du soleil, l'existence des individus est réglée comme un papier à musique. Il n'y a pas de place pour le doute puisqu'il n'y a pas de place pour le rêve, la réflexion, l'imagination ... Les neuf prières par jour, la "semaine sacrée de l’Abstinence absolue", les grands pèlerinages vers les lieux saints d'Abi, les formules consacrées répétées toute la journée - "Yölah est grand et Abi est son fidèle délégué" - ont anesthésié toute forme de rébellion. Même le langage a été appauvri, lui ôtant ses possibilités sémantiques infinies et tuant ainsi l'esprit critique dans l'oeuf.

Et pourquoi se rebeller lorsqu'un régime garantit l'harmonie et vous évite le tracas de la réflexion ? Boualem Sansal disait hier dans La Grande Librairie que "la recherche du bonheur, de façon quasi-systématique, est la recherche d'une dictature : celle de Dieu, celle de la tombe, celle de l'amour."

Bien entendu, vous avez identifié l'allégeance du 2084 de Boualem Sansal au 1984 d'Orwell : on peut aussi voir le roman comme une parabole du régime de terreur de l'État Islamique, une parodie de Daesh, mettant à mal ses codes, ses structures sociales, linguistiques et historiques. L'auteur démantèle avec une précision terrifiante les rouages d'un régime théocratique totalitaire qui ne semble plus si irréel. Et l'exergue du roman « Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle. » menace de résonner longtemps dans nos esprits ...

Malgré ses nombreuses qualités, le récit manque de force narrative. Le personnage principal, Ati, n'incarne pas une grande figure romanesque. Il est là pour servir la réflexion mais il erre comme une ombre dans un univers qu'on aurait souhaité plus concret.

Malgré tout, la lecture de 2084 nous semble utile en ces temps troublés.

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