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Histoire de la violence - Édouard Louis


Son dernier roman, En finir avec Eddy Bellegeule, était loin d'être passé inaperçu. Le nouveau jeune prodige de la littérature était donc attendu au tournant pour la rentrée de janvier. Son Histoire de la violence confirme ses qualités d'écrivain. L'histoire d'un viol Paris, place de la République, 24 décembre 2012 : Édouard Louis, étudiant normalien encore inconnu du grand public, rentre chez lui à pied le soir de Noël. Il est interpellé par Reda, un jeune et beau Kabyle, qui tient absolument à lui faire la conversation. Édouard, lui, veut rentrer chez lui. Mais il cède, par désir, par fatigue, un peu des deux. C'est ainsi que commence le récit d'une nuit franchement ambivalente : car d'abord, ils couchent ensemble, plusieurs fois. Puis Reda lui vole son téléphone, son Ipad, et les choses dérapent : fou furieux, il l'étrangle, le menace d'un revolver puis le viole, pour ensuite lui demander pardon. Pour rendre le récit encore plus retors, il faut préciser que ce n'est pas Édouard qui nous le raconte, mais Clara, sa soeur. Ce truchement de narrateur nous replonge dans l'ambiance de son premier roman, avec son parler du Nord populaire et gouailleur : "Quand il arrive ici je le soupçonne de faire encore plus de manières que quand il est avec ses amis, je suis sûre qu'à Paris il est plus détendu que ça et pis qu'il fait pas autant de manières et de chichis que quand il est là, des manières sur tout, il arrive et il veut pas manger de viande parce qu'il dit que la viande le dégoûte ou alors il se lave les mains toutes les cinq minutes après avoir caressé le chien comme si que mon chien il avait la gale ou des puces alors que mon chien je suis désolée il est plus propre que ce qu'on sert à manger dans les restaurants en ville, toutes ces manières des gens de la ville qui me tapent sur le sytème, il les prend." Le récit est polyphonique, construit en puzzle : Edouard intervient souvent pour interrompre sa soeur, remettre les choses en perspective. Il fait également participer les policiers, les médecins, le personnel hospitalier et ses amis pour reconstituer cette fameuse nuit. Mais le projet du jeune romancier va plus loin que le déballage intime : il cherche à remonter aux origines de la violence, dans un style très bourdieusien. L'histoire familiale de Reda est pour Édouard la source de ses agissements : un père immigré arrivé en France dans les années 1970 et parqué dans une chambre de 9m2 qu'il devait partager avec plusieurs personnes, un quotidien confronté au racisme sommaire et banalisé. Reda est un homosexuel qui ne s'assume pas, c'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle il finit par le violer : "Tu vas le payer, je vais te buter moi sale pédé, je vais te faire la gueule pédale", et j'ai pensé : Voilà pourquoi - j'ai pensé, je n'en suis plus si sûr aujourd'hui mais quand il l'a dit j'ai pensé : Il désire et il déteste son désir. Maintenant il veut se justifier de ce qu'il a fait avec toi. Il veut te faire payer son désir. Il veut se faire croire que ce n'était pas parce qu'il te désirait que vous avez fait tout ce que vous avez fait mais que ce n'était qu'une stratégie pour faire ce qu'il te fait maintenant, que vous n'avez pas fait l'amour mais qu'il te volait déjà." Dire qu'Édouard Louis a réussi à restituer une histoire de la violence est peut-être beaucoup, et nombreux seront les réfractaires à cette théorie d'une origine sociale de la violence. Cela n'explique pas tout, et son drame intime, certes traumatisant, ne rencontre pas la portée universelle qu'il souhaiterait lui donner. On recommande le livre plutôt pour le style, pour cette distance qu'il réussit à mettre entre l'écriture et le réel, ses analyses toujours fines. Édouard Louis est un personnage qui dérange mais il est doué. Et c'est avec bonheur qu'on retrouve ce qu'on avait tant aimé dans son premier roman : les expressions comme "Cha-vo-ti", "Chétaite fin bouen", "secouer sa salade" pour aller aux toilettes, et autres truculentes expressions picardes.

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