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Berezina - Sylvain Tesson


Sylvain Tesson ne voyage pas comme le commun des mortels : quand sonne l’heure du retour à Paris, vous n’êtes pas agité par l’idée brillante d’une traversée de la moitié de l’Europe à cheval, à pied, en kayak, ou encore en side-car … Eh bien lui, si. Pour compagnons de route, il convoque Napoléon, Caulaincourt et toute la Grande Armée, rien de moins. Pour ceux qui ne le connaissent pas, quelques précisions biographiques s’imposent : Sylvain Tesson est un aventurier voyageur, une sorte d’Indiana Jones lettré qui aurait remplacé son vieux chapeau par une malle de livres. Il s'est illustré par un tour du monde à vélo, une traversée de l'Himalaya à pied, une chevauchée des steppes d'Asie centrale, mais aussi, pour calmer un peu le jeu, par une retraite de six mois dans une cabane au fin fond de la Sibérie.



En 2012, son agitation le reprend et il s'illumine à l'idée de revivre deux cents ans plus tard l'itinéraire de la Retraite de Russie, probablement l'épisode le plus cauchemardesque du règne napoléonien. Pour Tesson, le vrai voyage a le goût de l'épreuve : " Une folie qui nous obsède, nous emporte dans le mythe ; une dérive, un délire quoi, traversé d'Histoire, de géographie, irrigué de vodka, une glissade à la Kerouac, un truc qui nous laissera pantelants, le soir, en larmes sur le bord d'un fossé. " Au départ de Moscou, il embarque avec lui son équipe d"ouralistes-radicalistes", prêts à brûler des milliers de kilomètres sur leurs Ourals, de vieilles motos de l'ex-URSS, dans la neige boueuse et un froid qui rebuterait le premier morse venu. Roulant en plein blizzard, aveuglé par la neige et myope comme une taupe, Tesson finit par se demander : "Que foutais-je sur cette Oural en plein mois de décembre avec deux zouaves embarqués, alors que ces engins du diable sont conçus pour convoyer de petites ukrainiennes de quarante-six kilos par des après-midi d'été, de Yalta-Plage à Smiferopol ?". Nous aussi on se le demande, et on a froid pour eux et avec eux.

Borodino, Smolensk, Berezina, Vilnius jusqu'à Paris en douze jours, rien ne les arrête ; Napoléon aura mis deux mois et perdu 390 000 soldats sur les 450 000 de la Grande Armée. L'itinéraire de Tesson marche dans les pas de l'histoire, ils sont dans le "mythe", avec un passage obligé à Berezina où l'auteur nous remet dans le contexte de l'horreur, racontant les ponts de cadavres ensevelis sous l'eau sur lesquels les soldats tentaient de franchir la rive en trébuchant. Deux cents ans plus tard, le spectacle est toujours hypnotique : " Au fond, la Berezina. C'était un cours d'eau aimable, indécis, dont les méandres avaient les reflets du mercure. [...] Nous regardions avidement. C'était le théâtre de l'apocalypse et on aurait dit le Loiret. La stèle de pierre portait une inscription : "Ici, les soldats de la Grande Armée traversèrent la Berezina." La phrase soldait le cauchemar à petit compte ". La beauté de ce livre réside dans l'alternance des récits tout au long de la route, entre le pèlerinage de Tesson et les évocations historiques, Mémoires de Caulaincourt à l'appui : il ressuscite pour nous ces colonnes de soldats hagards, dormant dans les cadavres des chevaux, s'enveloppant des soies précieuses pillées à Moscou pour ne pas mourir de froid, en vain.


«Il y a deux siècles, des mecs rêvaient d’autre chose que du haut-débit. Ils étaient prêts à mourir pour voir scintiller les bulbes de Moscou.» Ce que Tesson regrette, emporté par la mélancolie du voyage, c'est la disparition du panache et de l'héroïsme dans une époque où "nous voulons bien combattre, mais pour le salut de nos paliers d'appartement." Le style de Tesson est aussi fulgurant que son épopée, il vous fouette le sang et vous redonne une idée de la grandeur.

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