
"Pauline devient la seule femme contre laquelle le ministère public, c'est-à-dire la société française, requiert la peine de mort pour un crime passionnel sans que cela n'émeuve personne à l'époque, pas même Simone de Beauvoir, qui pourtant aurait trouvé là un bel exemple de vie de femme saccagée par les hommes."
Pauline Dubuisson est jugée en 1953 pour le meurtre de son fiancé lors d'un procès retentissant. Le drame avait fait couler beaucoup d'encre dans les médias de l'époque, et la jeune Pauline s'était retrouvée sur grand écran dans tous les cinémas de France, sous les traits de Brigitte Bardot dans le film de Clouzot, La Vérité.
Ne pensez pas "aie, fait divers" mais plutôt "alerte, chef-d'oeuvre" : c'est le coup de coeur du mois de mai chez le Bookinist. Jean-Luc Seigle a su saisir l'âme de cette femme et lui donner un souffle poétique extraordinaire. "Messaline des hôpitaux", mante religieuse, obsédée sexuelle, ce ne sont pas les surnoms qui lui auront manqué durant son procès, mais ils n'expliquent pas la vindicte populaire qui s'est déchaînée contre la jeune-femme de 21 ans. Certes, Pauline a tué Félix, son fiancé, et à bout portant : on ne peut guère la féliciter. Mais si les jurés s'acharnent à croire son crime froidement prémédité, c'est parce qu'ils veulent tuer l'adolescente qui eut le malheur de coucher avec un allemand sous l'Occupation. Tondue, puis violée avec hargne par les épurateurs, la vie de Pauline est frappée du sceau des malédictions. C'est sans doute cette dimension tragique qui a nourri l'imagination de Jean-Luc Seigle, qui offre à son personnage une réhabilitation littéraire. "Personne ne peut imaginer ce que j'ai ressenti lorsque je me suis vue morte sur un écran en gros plan, parce que c'était moi que je voyais dans la peau de Brigitte Bardot. J'ai été naïve de croire qu'à la différence de la Justice, le cinéma tiendrait compte de moi. Ce fut pire encore. Le cinéaste avait réalisé le rêve de mes juges: me tuer. Au bout du compte, neuf années de prison m'avaient moins fait souffrir qu'une heure et demie dans l'obscurité d'une salle de cinéma. Sans ce film, je n'aurais jamais quitté la France." Pauline fut condamnée à mort par ses juges, puis finalement graciée après neuf ans de prison. C'est en sortant du cinéma qu'elle décide de partir refaire sa vie à Essaouira, où le destin se remet à lui jouer des tours. Elle tombe amoureuse de Jean, qui la demande en mariage mais ignore tout de son passé. Comment lui raconter qu'elle n'est pas cette "Messaline des hôpitaux" mais une femme détruite par les hommes et la société, que son histoire avec le médecin allemand est la faute de son père, qui l'a sournoisement prostituée pour obtenir de quoi nourrir sa femme, endeuillée par la mort de ses deux fils ? L'auteur imagine dans Je vous écris dans le noir la confession poignante de Pauline, sous la forme de trois cahiers bouleversants.
"Je vous écris dans le noir. De l'obscurité dans laquelle mon crime m'avait jetée, bien sûr, mais aussi de celle qui terrorise les enfants, remplie de monstres et de fantômes. C'était la lettre d'une enfant qui demande pardon pour ses bêtises et pour le mal qu'elle a fait sans le vouloir. […]Trois tentatives de suicide en quatre ans ! […] Cela n'a rien changé pour mes juges. D'un côté on me laissait la vie sauve, de l'autre on m'insultait d'être restée en vie." En bref, si vous en avez assez des romans fades et êtes en mal de sensations fortes, n'hésitez plus et filez lire Je vous écris dans le noir. Le genre de livre qui vous remue et vous laisse un peu hagard une fois la dernière page tournée : magistral.
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