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L'amie prodigieuse - Elena Ferrante

Dernière mise à jour : 5 janv. 2022


On vous emmène à Naples cette semaine pour vous présenter la fresque littéraire à dévorer à l'ombre d'un parasol. Cependant, exit le glamour de la côte amalfitaine, la capeline au vent et les Persol : la scène a lieu dans un quartier populaire des années 50, où deux fillettes tentent d'échapper à leur condition difficile.

L'amie prodigieuse, c'est Lila : une gamine brune qui ne paye pas de mine, avec son allure de sac d'os dépenaillé. Mais Lila est plus intelligente, plus rusée que le diable : elle épouvante les gamins du quartier par ses piques acerbes, qui s'inclinent tous devant elle à l'école. Sauf Elena, la narratrice, qui sans qu'elle puisse l'expliquer, s'obstine à faire d'elle son amie. Entre les deux fillettes, il y a d'abord l'émulation intellectuelle : elles détonnent dans ce quartier pauvre de Naples, où leurs pères sont respectivement cordonnier et portier de mairie, leurs mères abîmées d'avoir porté trop d'enfants et les coups de leurs maris. Nous sommes à Naples dans les années 50, la misère est reine et l'école est un luxe pour les gamins. Le coeur du roman, c'est bien sûr Lila, mais c'est aussi ce quartier populaire et sa géographie familiale complexe : les familles Cerullo, Greco, Pelluso, Caracci, de l'épicier à la veuve folle en passant par le pharmacien, sont autant d'histoires et de personnages que le lecteur s'approprie très vite. On boit, on crie, on frappe, on fanfaronne au volant de sa millecento, on fait profil bas devant les Solara et leur argent pas très net. Et au milieu de tout ce bruit, Lila et Elena rêvent de s'envoler loin de la misère. L'amitié, comme l'amour, peut revêtir mille formes. Certaines sont pures et généreuses, d'autres sont un savant mélange d'admiration et de jalousie. Entre Lila et Elena - toutes deux brillantes et destinées, grâce à l'excellence de leurs résultats scolaires, à quitter leur quartier - rien n'est simple. Lila est de ces personnages qui fascinent, mettent le monde à leurs pieds : mais à défaut du monde, c'est son quartier que Lila tente de conquérir, toujours accompagnée d'Elena qui la suit comme une ombre discrète, un double jaloux. "Telle fut sans doute ma manière de réagir à l'envie et à la haine, et de les étouffer. Ou peut-être déguisai-je ainsi mon sentiment de n'être qu'un second rôle, et la fascination que je subissais. Quoi qu'il en soit, je m'habituai à accepter de bon gré la supériorité de Lila dans tous les domaines, ainsi que ses vexations." Au collège, une première fissure vient enrayer leur amitié : la maîtresse parvient à convaincre les parents d'Elena de l'y envoyer, tandis que la famille du cordonnier s'y oppose. Lila doit travailler désormais, pas d'argent à gâcher dans les études. Les rapports de jalousie s'inversent, Lila devient envieuse d'Elena. Tout en la rabaissant, elle l'aide dans ses devoirs et la pousse toujours plus loin : ce qu'Elena apprendra au collège, elle pourra le transmettre à Lila. Et les deux fillettes voient leur amitié grandir malgré les jalousies, les non-dits, les coups bas, la compétition permanente et l'envie de dépasser l'autre. La seconde fissure arrive avec le corps changeant de Lila : la gamine sèche et rageuse se transforme en une créature sublime qui affole tout le quartier, tandis qu'Elena se couvre de boutons et se voit affublée de grosses lunettes bon marché. Un nouveau rapport de force s'installe : l'une a les études mais l'autre a la beauté. Pour s'en sortir, Lila se mariera à 16 ans et Elena poursuivra son cursus scolaire toujours plus loin, franchissant les beaux quartiers où elle tente de dissimuler son malaise social. Comme des jumelles maléfiques, elles se perdent parfois et se retrouvent, toujours avec le même mélange d'amour/haine, admiration/envie. L'amie prodigieuse pourrait faire penser à un roman d'apprentissage naturaliste et féminin : deux femmes, deux destinées unies par la même volonté de combattre le déterminisme social. Le livre est porté par une écriture incroyablement vivante. Les pensées d'Elena, passées au microcospe, donnent au roman un sens du détail qui le rend palpable, indécollable de nos mains. Une fresque qui palpite de vie, foisonnante, intelligente.

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