top of page
  • Photo du rédacteurle Bookinist

La petite barbare - Astrid Manfredi


Peut-être vous souvenez-vous de l’appât du Gang des Barbares. Elle s’appelait Emma, et a continué de faire parler d’elle jusqu’en prison, séduisant tour à tour gardien et directeur. Beaucoup d’encre a coulé à propos de cette affaire, dont l’exceptionnel docu-fiction de Morgan Sportès, Tout, tout de suite, mais aucun romancier n’avait encore songé à donner une voix au personnage secondaire de ce drame. Et on peut dire qu’Astrid Manfredi a réussi l’exercice avec brio : 150 pages de plongée en apnée dans la tête et le corps de cette petite Barbare, surnom que lui ont donné ses copines de détention.

Mais cette fois-ci, exit les motivations religieuses, l’antisémitisme et l’islam : on se concentre sur la fracture sociale, la vie de banlieusarde d’une jeune-fille qui rêve de « tout ce qui brille », juchée sur ses escarpins, en parade le long des Champs-Elysées et qui se sert des hommes comme échappatoire à la misère. Lucide, la petite Barbare sait qu’elle est née du mauvais côté, « là où rien ne passe, pas même la police ». « J’ai appris dans l’école d’une République qui s’est foutue de ma gueule qu’il n’y avait parmi mes profs de français pas la moindre Marie-Chantal. Rien que des vieux dépressifs incapables d’aligner Molière et quelques illuminés par la vocation qui s’imaginent en nous promenant en laisse dans les musées que la culture va nous flanquer à genoux. » Mais n’allez pas croire qu’il s’agit là d’un réquisitoire contre l’école « sociale » ni d’une tentative de justification de ses crimes. Le roman est bien plus subtil que cela : la fiction n’est pas là pour l’humaniser, elle nous permet plutôt d’entendre la voix incisive d’une femme qui a oublié ce que signifiait la culpabilité, habituée à ce que la vie ne lui fasse pas de cadeau. Cri de rage d’une lionne enfermée en cage, la petite barbare est « pleine du bruit assourdissant de vivre » : dans ce huis-clos où elle se retrouve confrontée à elle-même, elle nous livre l’ennui de sa vie qui a conduit au crime, celui de son absence d’empathie, d’avoir vu et s’être tue. Des regrets, elle n’en éprouve pas. La victime était trop riche, trop bien nourrie : il a servi d’exutoire à leur haine qu’ils ne savaient même pas diriger. « La cave, les coups portés pour faire le mal, la malédiction de nos poings maudits sur sa gueule de nanti. […] Son téléphone vibrait Maman en lettres d’or. On a ri des larmes de la pauvre folle hébétée de douleur. On a ri de la pisse sur le pantalon bien repassé. Pétage de plombs collectif, impossible d’arrêter. Le bras levé, nous avons endossé la chemise brune d’une intifada prêchée en boucle par les stars de l’info. Notre cri de guerre : « Au nom d’Allah. » Tu parles. Comme si on y connaissait quelque chose, nous, aux préceptes du Coran. Faire appel à Dieu, ça nous épargnait une chose : lui demander son avis. Et le citer, c’est déjà être pardonné. » Entre les nombreuses séances avec les psys, le dégoût des hommes, le procès, le désespoir, il n'y a jamais de regrets mais il y a la littérature, qui fonctionne comme une soupape d'oxygène. Elle rêve de L'Amant, d'amour dans des draps de soie et de robes virginales. Est ce qu'on y croit ? Oui, et même malgré nous car le personnage dérange en même temps qu'il fascine. Un livre qui doit se lire d'une traite, de la même façon qu'on avale un alcool trop fort. C'est à la fois brut et poétique, et on s'y croirait, dans la tête de cette petite barbare. Un premier roman stupéfiant qui promet un bel avenir à son auteur.

0 vue0 commentaire

Posts récents

Voir tout

コメント


bottom of page