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Le Royaume - Emmanuel Carrère

Dernière mise à jour : 5 janv. 2022


Vous regardez probablement l’objet d’un air circonspect et vous vous dîtes qu’on a voulu vous punir de vos années d’athéisme cynique, car, soyons clair, 700 pages sur les débuts du christianisme, ça relève plus du pensum que de la franche rigolade. Sans parler de la crise mystique que traverse Emmanuel Carrère et qui va vous accompagner durant votre lecture, à coups de "je crois","je crois pas" qui risquent de mettre à mal votre patience. Mais ce livre est un coup de maître. Croyants, non croyants, vous risquez d'être engloutis par la magie du Royaume, un mélange savant d’autobiographie, de roman historique, d’anachronismes savoureux et d’interrogations bien concrètes sur la foi :


"C’est une chose étrange quand on y pense,

que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées. Un type qui aujourd’hui croirait à des histoires de dieux qui se transforment en cygnes pour séduire des mortelles (…), tout le monde dirait : il est fou. " On pourrait se dire que Carrère emprunte des raccourcis un peu faciles mais il facilite ainsi l’entrée du lecteur dans son « Royaume ». Malin, Carrère : il fait ensuite le pitch de son livre façon synopsis de série, qui fera s’écrier un de ses amis : « Raconté comme ça, on dirait du Phillipe K. Dick ! » Mais alors le pitch en question, c’est quoi exactement ? Il y a un postulat de départ : Carrère, il y a longtemps, a été « touché par la grâce ». L’expression le met très mal à l’aise aujourd’hui, car cette foi ne l’habite plus, ou pas de la même façon du moins. Elle l’étonne même, cette crise mystique dans laquelle il se replonge avec des sentiments ambivalents, mêlés de curiosité et de honte.


C’est ce qui va lui donner envie d’interroger cette croyance, de comprendre exactement "comment une petite secte juive, fondée par des pêcheurs illettrés, soudée par une croyance saugrenue sur laquelle aucune autre personne raisonnable aurait misé un sesterce, a en moins de trois siècles dévoré de l’intérieur l’empire romain et, contre toute vraisemblance, perduré jusqu’à nos jours." Et voilà le poumon narratif du livre: une enquête ultra-documentée sur les débuts du christianisme et l'après Jésus-Christ. Mais qui dit documenté ne signifie pas pour autant rébarbatif, non, ça ressemble à un péplum biblique revisité pour nos esprits contemporains. Carrère ouvre son enquête avec Paul, qui de son propre aveu "avait une sale gueule et un corps disgracieux". C'est un détail utile qui permet au lecteur de visualiser ce petit homme hirsute et vindicatif vociférant dans les synagogues la venue du fils de Dieu, mort sur la croix et ressuscité, créant la stupeur parmi les foules: "La croix est un supplice affreux et surtout infamant. Il ne peut concerner que la lie de l'humanité : bandits de grand chemin, esclaves en fuite. Pour continuer à transposer, c'est comme si on annonçait que le sauveur du monde, en plus de s'appeler Gérard ou Patrick (Jésus était un prénom juif tout ce qu'il y a de plus banal nous apprend Carrère), a été condamné pour pédophilie. On est choqué mais captivé." Ces exemples de transposition et de mises en scènes rendent le récit léger, parfois frivole, mais se révèlent d'une efficacité redoutable pour soutenir un récit d'aussi longue haleine. On marche donc derrière Paul et Luc, son secrétaire, fidèle parmi les fidèles, sur les routes d'une Méditerranée en pleine occupation romaine mais où les religions monothéistes sont tolérées. Vous saurez désormais qui sont ces premiers chrétiens et comment cette branche rebelle du judaïsme a assis son autorité tout le long de la Méditerranée.

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