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Les amants de Coyoacán - Gérard de Cortanze


Frida Kahlo formait avec Diego Rivera un couple légendaire, indissociable sur le plan artistique malgré des rapports électriques. On leur prête respectivement des liaisons de tous ordres, tellement nombreuses qu'on a perdu le compte.

Gérard de Cortanze met ici en lumière une histoire moins connue du public, à savoir la relation amoureuse entre Frida et... Léon Trostky ! L'épisode mexicain de la vie de Trostky se résume souvent dans les livres d'histoire à son assassinat.

On apprend dans ce livre rebondissant que Léon a mené sa petite vie à Coyoacan durant trois années, gracieusement accueilli par Frida et son mari, et qu'il aurait même trouvé le temps de faire un peu de tourisme entre deux ou trois tentatives d'assassinat.


Mais revenons à un contexte un peu plus sérieux : en 1936, Trotsky et sa femme embarquent pour le Mexique contraints par l'exil. Bannis de l'URSS, expulsés de France puis de Norvège, ils obtiennent du président mexicain l'asile politique à la condition de rester discrets et d'éviter toute manifestation politique. Installés dans la "casa azul", aujourd'hui Musée de Frida Kahlo, ils se lient très vite d'amitié avec le couple, tous deux peintres et militants communistes. Pour Trotsky qui a surtout connu les étendues blanches de Russie, le Mexique est une révélation : la beauté de Frida, son langage cru, les couleurs, la vitalité du pays réveillent en lui une seconde jeunesse, il tombe amoureux : « Le contraste était saisissant entre ce Trotsky fringant et vert, vindicatif, sautillant, faisant une cour assidue à Frida et ne perdant aucune goutte de sa beauté qu'il admirait sans jamais se rassasier, au nez et à la barbe d'un Diego qui ne semblait rien voir et d'une Natalia qui voyait sans doute mais se languissait en silence, et cet autre Trotsky qui souffrait de terribles maux de tête, de vertiges, qui se plaignait de sa tension artérielle elevée et regrettait sans cesse que "l'âge l'eût pris en traître". » Quant à Frida, elle n'est pas en reste : billets doux glissés dans les livres qu'elle lui offre, baisers échangés furtivement, escapades et rendez-vous secrets, elle se délecte de cette vengeance contre Diego qui change de maîtresse comme de chemise. En dépit de son caractère joyeux, de ses chansons et son mantra "viva la vida", Frida Kahlo est une femme qui souffre, tout d'abord physiquement. Atteinte par la polio à l'âge de six ans, puis victime dix ans plus tard d'un accident de bus où une barre de fer lui transperça l'abodmen et la cavité pelvienne, elle subit fausse couche sur fausse couche ainsi que des corsets de plâtre pour maintenir sa colonne vertébrale. Ces différents drames personnels nourrissent son oeuvre et expliquent sa prédilection pour l'autoportrait, qu'elle a développé durant les longues périodes d'alitement de son enfance (sa famille lui avait ingénieusement placé un miroir au-dessus de son lit afin qu'elle puisse peindre son propre reflet). Elle trouve en Léon Trotsky une oreille attentive et curieuse, et dans leur relation un apaisement qui entraînera une des périodes les plus fécondes de sa vie d'artiste.

L'idylle est passionnée mais brève et le gouvernement mexicain inquiet des menaces de mort qui gravitent autour de Trostky. Son activité politique se poursuit malgré tout, et ses travaux aboutissent à la création de la IVème Internationale. André Breton et sa femme se rendent au même moment au Mexique afin de le rencontrer, ce qui donne lieu à des moments d'anthologie dans le roman : en bref, Breton est fasciné par l'oeuvre de Frida, et Frida déteste Breton : « L'homme inondait son auditoire d'incessantes formules ou théories toutes plus prétentieuses, ineptes et arrogantes les unes que les autres, comme "Cette terre est un lieu surréaliste par excellence" ou "Ici, les cactus ont l'éternité devant eux : celle des idoles de pierre". Une expression revenait souvent dans la bouche de Frida : "le problème con el señor Breton, c'est qu'il se prend trop au sérieux." En fait, elle pensait sincèrement qu'il ne comprenait rien au Mexique. » C'est toujours une joie d'entendre le surréalisme se faire rabrouer, mais dans la bouche de Frida Kahlo, le plaisir est décuplé. On rit sans modération de son passage à Paris, où elle surnomme Aragon, Desnos et Eluard "les Grands Cacas", dont elle ne supporte pas "les discussions sans fin autour de révolutions qu'ils ne feraient jamais, de mots d'ordre qu'ils ne seraient jamais en mesure de respecter, de théories qu'ils ne mettraient jamais en pratique, ne faisant rien d'autre que réchauffer leur précieux derrière dans des cafés sinistres." Gérard de Cortanze restitue à merveille ce Mexique frondeur à travers la voix de Frida Kahlo, ainsi que cette relation oubliée des livres d'histoire. À tort, se dit-on, car elle donne un nouvel éclairage à la triste figure de Trotsky mais aussi à l'engagement politique de Frida. Les amants de Coyoacán est un roman vif et enlevé que le Bookinist a aussitôt introduit dans la catégorie "s'évader" pour les ruelles bigarrées de Mexico et sa périphérie.


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